Rencontre avec Claude Huet, président de SOS sans Abri

J’ai choisi de consacrer ce premier déplacement à ces Français dont on a effacé l’identité pour mieux les confiner à l’oubli, et résumer leur existence à 3 lettres qui nous sont devenues malheureusement si familières : les SDF.

Derrière cet acronyme, le destin brisé de dizaines de milliers de personnes, entraînés dans la spirale de la crise, qui se sont retrouvés à la suite d’un concours de circonstances dramatiques confrontés au monde de la rue.

112 000 SDF recensés en France en 2012, une progression glaçante de 84% en 10 ans et 3.5 millions de personnes en situation de mal-logement, victimes de la précarité.

Rencontre avec Claude Huet, président de SOS sans Abri
Rencontre avec Claude Huet, président de SOS sans Abri

Ces chiffres trop souvent ignorés, cachent un scandale intolérable dans un pays qui s’enorgueillit d’être la patrie des droits de l’homme : l’indifférence des pouvoirs publics envers toute une catégorie de Français, en voie de mort sociale et abandonnés à leur sort.

On ne compte plus les discours compatissants, les promesses jamais tenues, tels ces propos de Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle de 2007 « je veux que d’ici 2 ans plus personne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid, parce que le droit à l’hébergement, c’est une obligation humaine ». 5 ans après, 2 031 SDF ne se sont jamais relevés de leur abri d’infortune…

Depuis 2012, déjà 1380 ont succombé, 11 depuis le 1er janvier 2016. Ces morts n’intéressent pas les âmes sensibles qui se pressent chaque jour à Calais, à Grande-Synthe pour plaider la cause des réfugiés. Ces anonymes qui s’entassent pour une nuit quand ils le peuvent dans des centres d’hébergement d’urgence surchargés avant de retourner dans la rue dès le lendemain, n’interpellent pas les gouvernants.

La compassion est à géométrie variable quand le devoir impérieux de la solidarité nationale concerne paradoxalement et exclusivement ceux qui ne sont pas des nationaux. Comment, en effet, ne pas éprouver un sentiment de colère quand on entend Anne Hidalgo, maire de Paris, organiser des maraudes spécifiques pour des migrants, alors que dans le même temps, des dizaines de SDF s’éteignent sur les trottoirs de la capitale.

Comment ne pas être saisi par une vive l’inquiétude quand François Hollande nomme au ministère du Logement, Emmanuelle Cosse, favorable à l’accueil sans limite des migrants et qui veut faire de la région Ile de France une région refuge en attribuant des crédits pour le logement des réfugiés.

La France peut se targuer selon Bruxelles d’être le pays de l’Union européenne qui réserve le plus de places d’hébergement pour les réfugiés (77 000).

Nous nous passerions bien de ce satisfecit de la honte quand son gouvernement laisse dans le plus total dénuement des dizaines de milliers de ses compatriotes, les condamnant pour certains à la mort.

Quand l’Etat est défaillant, les initiatives viennent bien souvent de ceux qui refusent de baisser les bras. Claude Huet que j’ai longuement rencontré s’est engagé dans ce combat contre la fatalité et l’oubli. Ce monde de la rue fut le sien, son parcours et sa descente aux enfers pourraient être ceux de n’importe quel citoyen plongé dans le chaos infernal de la crise économique. Artisan, frappé par la faillite, plongé à 50 ans dans la précarité et condamné à l’exclusion, il a choisi de décrire dans deux livres la réalité de son monde. 10 jours 9 nuits, et la Descente aux enfers sont les témoignages poignants de cette survie au quotidien, de cette vie qui n’en est plus une.

Témoigner et agir contre l’indifférence, c’est le combat dans lequel s’est engagé Claude Huet, sur le front politique d’abord où il défend une loi qui permettrait à chaque commune de 1000 habitants d’accueillir un SDF. Cette mesure qui permettrait de loger 50 000 personnes s’est heurtée à un mur du silence. Un mutisme qui laisse songeur quand on sait avec quel empressement ces mêmes élus ont imposé une répartition des migrants dans les villages de France et débloqué 250 millions pour l’hébergement d’urgence des migrants…

L’autre grand projet est la construction d’un centre d’accueil pérenne en région parisienne, à Monterault sur l’Yonne. Un concept unique en France dans son objectif, la réinsertion dans le monde du travail des SDF dont il est important de rappeler que 60% disposent du RSA et sont des travailleurs pauvres.

Cette initiative doit permettre à une centaine de personnes de reprendre pied et de sortir du monde de la rue. Restaurer la confiance perdue, assurer ce que les centres traditionnels d’hébergement n’assurent plus, une solution de logement qui s’inscrit dans le long terme, et responsabiliser les sans-abris en les faisant participer à hauteur de leur possibilité à la location de ces logements, sont les principes sur lesquels se fonde ce beau projet.

On se perd en conjectures pour tenter de comprendre l’immobilisme des pouvoirs publics qui refusent de soutenir un tel projet, alors même que les

politiques inadaptées menées jusqu’à présent n’ont contribué qu’à une seule chose : multiplier le nombre de SDF.

On reste tout autant perplexe devant l’incapacité de l’Etat à proposer des mesures durables, alors que tout est fait pour accompagner et faciliter l’intégration de chaque migrant posant un pied en France.

Il faut le dire clairement : tout est à revoir en matière de lutte contre l’ultra-précarité, aussi bien en ce qui concerne les moyens déployés que sur les réponses apportées, qui ne sont pas à la hauteur de ce drame national.

L’abri d’urgence qui consiste et impose à un SDF de dormir une nuit dans un endroit et dès l’aube, d’être mis à la porte des centres, renvoyé ainsi au monde de la rue, est une méthode profondément inhumaine dans une société civilisée.

Ce dont ces personnes vulnérables ont besoin, c’est avant tout de stabilité, d’une réponse sur le long terme qui ouvre des perspectives durables et crédibles, qui restaurent la confiance et permettent d’envisager un retour progressif à une vie normale.

Cela passe par des structures d’accueil pérenne qui rompent avec le caractère précaire des centres d’hébergement d’urgence, par un projet fiable de réinsertion sociale et professionnelle, par l’accompagnement et le suivi de ces personnes dans les démarches administratives, étapes indispensables pour se reconstruire une identité perdue, pour croire en soi et en l’avenir.

SOS Sans-Abri : http://1-autre-regard.com/index.html

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